Personnage et joueur, qui sont-ils ?
Quand on relit un texte de jeu de rôle, une erreur que l'on rencontre fréquemment est la confusion entre les personnages et les joueurs : tout d'un coup, un personnage lance un dé pour accomplir une action ou un joueur donne un coup d'épée pour abattre un adversaire.
Cette confusion, on la lit à toutes les sauces sur le tapis dans les conversations entre rôlistes, lesquels emploient très souvent PJ (personnage-joueur) pour désigner les joueurs, alors que PJ, traduction de PC (Player Character), désigne le personnage d'un joueur ou au pluriel les personnages des joueurs. Elle s'est naturellement infiltrée dans les ouvrages de jeu de rôle.
Quelques citations comme exemples, sans entrer dans les détails (liste non exhaustive) :
- « Dans de rares cas, si la situation l’exige, il peut arriver que le Docte demande à tous les PJ ou à un PJ en particulier de refaire un test d’Initiative alors que la scène n’est pas terminée » (Les Héritiers) ;
- « Les PJ peuvent mettre l’accent sur des facettes différentes de leur personnage » (Les Héritiers) ;
- « si les PJ ne sont pas encore en mode rencontre, ils devraient chacun faire un jet d’initiative » (Pathfinder 2) ;
- « Un test d’Intelligence DD 15 est accompli à l’issue de l’aventure par le PJ qui s’est le plus chargé de logistique dans l’équipe » (Dragons) ;
- « À l'aide d'un dé, chaque personnage au contact devra indiquer son option pour le tour et ne la dévoilera que lorsque tous les personnages auront fait de même » (Bloodlust) ;
- « PJ : abréviation de personnage joueur. Ensemble, les PJ interagissent avec le meneur de jeu, interprétant leur personnage et essayant de progresser dans l’histoire » (Aria) ;
- « PJ : Personnage Joueur. C’est un joueur qui interprète un des personnages principaux de l’histoire. Contrairement au Guide, il ne connaît pas tous les secrets du jeu » (Sapiens).
Dans ces différents exemples, nous lisons que PJ ou personnage est employé comme synonyme de joueur. Les glossaires d'Aria et de Sapiens donnent même une définition très claire de PJ selon laquelle PJ signifie joueur, ce qui a le mérite d'être sans ambiguïté et de lever toute confusion, mais illustre le résultat du glissement sémantique que connaît la locution personnage-joueur.
Nous ne reviendrons pas ici sur les causes de ce glissement ni sur l'orthographe, avec ou sans trait d'union, de personnage-joueur, car ce serait trop long et trop éloigné du sujet de cet article qui s'intéresse davantage à la manière de reformuler des phrases dans lesquelles sévirait la confusion.
Correction et reformulation
En effet, il ne suffit pas toujours pour corriger une phrase de remplacer simplement un terme par un autre, PJ ou personnage par joueur, ou joueur par PJ ou personnage, comme dans le cas des deux premiers exemples cités.
Prenons cet exemple inventé, bien que tout à fait représentatif de ce qu'on peut parfois lire :
« Le personnage doit réussir un test de Force pour déblayer les pierres qui lui barrent la route. »
Simplement remplacer personnage par joueur n'est pas suffisant.
Cela donnerait : « Le joueur doit réussir un test de Force pour déblayer les pierres qui lui barrent la route », or les pierres ne barrent pas la route au joueur (« lui »), mais à son personnage.
Il faudrait donc écrire : « Le joueur doit réussir un test de Force pour déblayer les pierres qui barrent la route à son personnage », ou encore « qui barrent la route », sans complément indirect, lequel serait sous-entendu.
Se pose aussi la question du sujet de déblayer, qui apparaît comme étant le joueur, sujet du verbe de la principale. Toutefois, le contexte suffit à comprendre que c'est évidemment son personnage qui fait l'action de déblayer dans le récit fictionnel de la partie, nous évitant de devoir allonger la phrase plus que de raison : « Le joueur doit réussir un test de Force pour que son personnage déblaye les pierres qui [lui] barrent la route. »
Nous constatons ainsi qu'il y a comme toujours plusieurs formulations possibles.
L'attention aux détails
Cette confusion entre PJ/personnage et joueur induit des erreurs ou approximations plus discrètes que la simple permutation des termes. Par exemple, nous lisons dans Bloodlust : « Chaque joueur devra ensuite, dans l'ordre calculé ci-dessus, jeter un d% pour connaître la réussite de son action. » L'adjectif possessif « son » renvoie au sujet du verbe principal, joueur, or le joueur n'agit pas, contrairement à son personnage.
On pourrait interpréter « son action » comme « l'action qu'il a décrite » ou « l'action de son personnage », mais ce serait dépasser ce qui est écrit.
L'adjectif « son » introduit une ambiguïté, que l'on peut gommer en le remplaçant par un simple article. Là encore, on peut ou non exprimer le complément : « (…) pour connaître la réussite de l'action [de son personnage] ».
Une solution facile ?
Il est rarement évident d'éviter la confusion entre joueur et personnage/PJ quand on écrit des phrases qui entremêlent les points de vue des joueurs et des personnages. Toutefois, il existe une solution qui permet d'éviter les nœuds au cerveau. Elle consiste à utiliser un terme unique pour désigner à la fois joueur(s) et personnage(s), soit en conservant la locution personnage-joueur, soit en choisissant un terme thématique. Voici un exemple de chaque :
- « Par commodité, le personnage et/ou le joueur est appelé dans « Guildes » un Pj pour un Personnage-joueur » (Guildes) ;
- « les frères pourront choisir une carte dans leur main et la jouer. Aussitôt qu'une carte est jouée par un frère ou par le maître » ; « si un frère désire escalader un mur » (dans Miles Christi, le terme « frère » désigne aussi bien le joueur que le personnage, selon le contexte).
Pour ma part, c'est une solution que je trouve et pratique et élégante, et que j'adopte donc quand il m'arrive d''écrire des jeux de rôle ou des scénarios.
Et « vous » ?
En dernier exemple, je citerais aussi Héros & Dragons qui au début du chapitre dédié au combat explique :
« [Ce chapitre] s’adresse aux joueurs et le « vous » employé correspond au joueur, mais parfois aussi au personnage ou à la créature que le joueur contrôle au cours du combat. »
Ni joueur ni personnage, ni encore moins personnage-joueur/PJ, dans ce chapitre où la simplification est la bienvenue et où l'on évite toute ambiguïté et confusion en adoptant habilement ce pronom fédérateur : « vous », qui remplace les termes usuels.
Par exemple, au lieu de lire : « Pendant votre tour, votre personnage peut se déplacer d'une distance égale à sa vitesse et accomplir une action. C'est à vous de décider si votre personnage se déplace d'abord ou agit d'abord », nous lisons : « Pendant votre tour, vous pouvez vous déplacer d'une distance égale à votre vitesse et accomplir une action. C'est à vous de décider si vous voulez d'abord vous déplacer ou d'abord agir. »
Conclusion
Quand vous écrivez, demandez-vous qui fait quoi pour mieux discerner qui est qui :
- si vous décrivez une action qui a lieu dans le monde fictionnel, comme enfoncer une porte ou baratiner un garde, alors c'est un personnage qui l'accomplit ;
- si vous décrivez une action qui a lieu autour de la table ou qui est liée au système de jeu, comme lancer un dé, effectuer un test ou demander quelque chose au maître du jeu, alors c'est un joueur qui l'accomplit.
De cette manière, vous éviterez aisément toute confusion.
Quant à la locution personnage-joueur, elle désigne traditionnellement et traductionnellement le personnage du joueur, mais nous l'avons vu au cours de cet article, certains l'emploient pour désigner soit le joueur lui-même, parfois à l'exclusion de son personnage, soit à la fois le joueur et son personnage*, ce que l'orthographe avec trait d'union tend à induire. À vous de décider et d'indiquer quel sens vous lui attribuez, et de vous y tenir.
*le joueur quand il interprète son personnage et le personnage interprété de manière exclusive par ce joueur
Vous pouvez aussi le remplacer par un terme (Investigateur, Sœur, Inspiré, Chevalier, Princesse, Aventurier...) qui illustre l'univers de votre jeu. Dans ce cas, n'oubliez pas de le définir de la même manière que vous définiriez personnage-joueur. Par exemple, l'émissaire dans Chill se cantonne à être le personnage du joueur, selon la définition classique de personnage-joueur.
En espérant que cet article un peu long ait pu vous être utile,
Rôlistement vôtre.
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