Cinq anglicismes fréquents à éviter
Introduction
Nous avons déjà abordé l'influence de l'anglais en matière de typographie (majuscules) ou de grammaire (le pluriel des sigles). À partir d'aujourd'hui, nous nous occuperons de régler leur compte à cinq anglicismes courants sur le plan sémantique, que l'on retrouve fréquemment au cours des relectures.
Un anglicisme est avant tout l'emprunt d'un mot, d'une locution ou d'une expression à l'anglais, qui n'a pas d'équivalent dans la langue, il comble donc pour ainsi dire une absence : un terme comme T-shirt en est le parfait exemple. Un anglicisme est encore le calque d'une tournure ou d'un mot anglais, impropre et non intégré à la langue (le français, en ce qui nous concerne), pour deux raisons principales :
- il existe déjà un équivalent français qui a le même sens, l'emprunt à l'anglais est dès lors inutile ;
- cet anglicisme introduit une difficulté linguistique en français.
C'est ce second anglicisme dont il sera question dans les articles dédiés. Comme écrit précédemment, nous nous concentrerons sur cinq anglicismes en particulier. Commençons donc par le premier.
Bien entendu, nous partons du postulat que les anglicismes existent.
Partie I
Ne vous leurrez pas
(leur/leurs)
Leur(s) est un
adjectif ou déterminant possessif difficile à accorder, qui traduit
aussi une certaine vision du monde. Plutôt que d'un anglicisme, car
la difficulté est bien présente en français, nous parlerons plutôt du
risque du calque de l'anglais dans le cas d'une traduction ou de l'influence de l'anglais sur le français.
Règle générale
Elle est très simple : leur(s) indique qu'il y a deux ou plusieurs possesseurs. Il est singulier quand le nom qu'il qualifie est singulier (« Ils cultivent la terre de leur jardin. »), pluriel quand le nom qu'il qualifie est pluriel (« Leurs propos sont inqualifiables. »).
Toutefois, il est de nombreux cas où la question du nombre pose difficulté, quand la quantité possédée par chaque personne entre en jeu. Alors, singulier ou pluriel ? On décortique cela.
Quand le groupe nominal est complément et le possesseur, sujet
« Les joueurs effectuent un test de Réflexes pour essayer de sauver leurs personnages. »
Comme chacun sait, une langue est habitée par sa propre vision du monde, elle dit quelque chose du monde qu'elle décrit. Par exemple, quand le français met l'accent sur le singulier au sein du nombre, indépendamment de la réalité décrite, l'anglais décrit avec précision ce qui est. L'anglais est souvent plus concret que le français. Voici l'exemple le plus simple à comprendre pour illustrer cela :
« Elles commandent au bar, prennent leur verre et vont s'installer à une table. »
« Leur verre » s'écrit au singulier, car le français considère que chacune d'entre elles a un seul verre, son propre verre. On pourrait écrire « leurs verres », mais cela signifierait qu'elles ont chacune commandé deux ou plusieurs verres. Si ce n'était pas le cas, alors ce serait une forme d'anglicisme. En effet, on emploie leurs quand chaque possesseur possède plusieurs objets.
Traduisons en anglais : « They order at the bar, take their drinks and settle down at a table. »
« Their drinks » est ici au pluriel, car l'anglais considère le nombre total de verres. Puisqu'elles sont deux ou plus, et que chacune a commandé un verre, alors il y a plusieurs verres, d'où le pluriel. Toutefois, l'anglais ne permet pas de distinguer si elles ont chacune commandé plusieurs verres ou non, contrairement au français.
Vous aurez donc compris, si on se fie à l'écrasante majorité de jeux de rôle dans lesquels chaque joueur incarne un seul personnage, l'erreur commise dans l'exemple introductif. En voici une correction :
« Les joueurs effectuent un test de Réflexes pour essayer de sauver leur personnage. »
Si cette phrase est tout à fait correcte, il est souvent plus naturel de passer au singulier :
« Chaque joueur effectue un test de Réflexes pour essayer de sauver son personnage. »
On remarque alors l'emploie du singulier « son personnage », et non « ses personnages », lequel permet de confirmer le singulier de « leur » dans la formulation au pluriel. Transformer la phrase au singulier est un bon moyen, pas toujours infaillible, de l'analyser pour savoir comment accorder leur.
Autre cas
Cet accord au singulier n'est pas une lubie, il est généralisé en français, par exemple dans ce cas :
« Il a corrompu le cœur de tous les hommes. »
« Cœur » est en français au singulier, car on considère que chaque homme ne possède qu'un cœur.
Traduisons en anglais : « It has corrupted the hearts of all men. »
« Hearts » est ici au pluriel, car l'anglais considère que comme il y a plusieurs hommes, il y a plusieurs cœurs. Là encore, pour lever toute ambiguïté en français, on peut écrire au singulier :
« Il a corrompu le cœur de chaque homme. »
Quoi qu'il en soit, il serait bien difficile d'écrire : « Il a corrompu les cœurs de tous les hommes. » Ce serait une forme d'anglicisme, et dans le cas d'une traduction, un calque de l'anglais.
Quand le possesseur n'est pas sujet
En position de complément, quand le sujet principal n'est pas le *possesseur*, nous retrouvons aussi bien le singulier que le pluriel :
« *Les joueurs* doivent se montrer prudents. En effet, un tel affrontement pourrait gravement mettre à mal leur personnage/leurs personnages. »
En effet, on n'échappe pas dans ce cas à l'ambiguïté : le singulier, qui indique que chaque joueur interprète un personnage, pourrait être compris comme s'il n'y avait qu'un personnage pour tous les joueurs ; tandis que le pluriel, qui indique qu'il y a plusieurs personnages, ne précise pas combien de personnages incarne chaque joueur. On écrira donc au singulier ou au pluriel selon ce sur quoi on souhaite insister : chaque personnage en tant qu'il est interprété par un des joueurs, ou l'ensemble des personnages.
Pour ma part, je préfère le singulier, afin de me conformer aux cas où le possesseur est sujet principal, de sorte que je respecte simplement un seul et même usage. Pour clarifier le propos, j'emploie parfois l'article défini :
« *Les joueurs* doivent se montrer prudents. En effet, un tel affrontement pourrait gravement mettre à mal les personnages. »
Le contexte suffit à comprendre que l'on parle des personnages des joueurs.
Quand le groupe nominal est sujet
On notera qu'en position de sujet logique, un groupe nominal comprenant leur s'écrit plus naturellement au pluriel pour éviter toute erreur d'interprétation :
« *Les joueurs* doivent se montrer prudents. En effet, leurs personnages pourraient sortir vaincus d'un tel affrontement. »
Cela est dû aux faits que le *possesseur* « les joueurs » est au pluriel et n'est pas lui-même sujet : si on écrivait « leur personnage pourrait sortir vaincu », alors on risquerait de comprendre que tous les joueurs interprètent un seul et même personnage. Ce pluriel considère donc l'ensemble des personnages des joueurs. Cependant, le singulier, bien que risqué, reste une possibilité.
Pour régler cette hésitation entre pluriel et singulier, là encore je me résous parfois à contourner la difficulté en employant un article défini :
« Les joueurs doivent se montrer prudents. En effet, les personnages/les personnages-joueurs/les PJ pourraient sortir vaincus d'un tel affrontement. »
Parties II, III, IV et V à venir :
- Juste Leblanc
(juste) ;
- Quand la réalité dépasse le français (réaliser) ;
- Les Bonnes Occaz (opportunité et occasion) ;
- Revenons aux bases (se baser sur).
Rôlistement vôtre.
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